1) Primo Levi : un déporté qui à témoigné avec justesse et sans tabous

 

            Primo Levi est né à Turin en 1919, en 1942 il est étudiant en chimie. Il est arrêté comme résistant juif en février 1944, puis déporté à Auschwitz, où il restera jusqu'en janvier 1945, date de la libération du camp par les Soviétiques. La guerre finie, il prend la direction d'une usine chimique et commence à écrire.

Son premier livre, Si c'est un homme, paru en 1947 est le journal de sa déportation et un des premiers témoignages sur l'horreur d'Auschwitz. Il est également l'auteur d'une douzaine d'ouvrages, dont plusieurs furent couronnés par des prix : La trêve ( 1963), Vice de forme (1971), Le système périodique (1975), La clé à mollette (1978),…et son dernier livre Les naufragés et les rescapés (1986).

Primo Levi s'est donné la mort en 1987.

 

Si c'est un homme, étude d'extraits de son premier livre

 

            " Nous connaissons déjà en grande partie le règlement du camp, qui est incroyablement compliqué ; les interdictions sont innombrables : interdiction se s'approcher à plus de deux mètres des barbelés; de dormir avec sa veste, ou sans caleçons, ou le calot sur la tête  (…) de ne pas aller à la douche les jours prescris, et d'y aller les jours qui ne le sont pas ; de sortir de la baraque la veste déboutonnée ou le col relevé ; de mettre du papier ou de la paille sous ses habits pour se défendre du froid ; de se laver autrement que torse nu.

            Les rites à accomplir sont infinis et insensés : tous les matins, il faut faire son "lit" de manière qu'il soit parfaitement lisse et plat (…) le soir, il faut passer au contrôle des poux et au contrôle du lavage de pieds ; le samedi, il faut de faire raser la barbe et les cheveux (…) le dimanche, c'est le contrôle général de la gale et le contrôle des boutons de vestes, qui doivent correspondre au nombre réglementaire : cinq.

            Sans compter les innombrables circonstances, insignifiantes en elles-mêmes, qui deviennent ici de véritables problèmes. Quand les ongles poussent, il faut les couper, et nous ne pouvons le faire qu'avec les dents (…)

            Et que l'on aille pas croire que dans la vie du Lager, les souliers constituent un facteur négligeable. La mort commence par les souliers : ils se sont révélés être pour la plupart d'entre nous de véritables instruments de torture qui provoquaient au bout de quelques heures de marche des plaies douloureuses destinées à s'infecter. Celui qui a mal aux pieds est obligé de marcher comme s'il traînait un boulet (d'où l' allure bizarre de l'armée de larves qui rentre chaque soir au pas militaire) ; il arrive bon dernier partout, et partout reçoit des coups ; il ne peut pas courir si on le poursuit ; des pieds enflent, et plus ils enflent; plus le frottement contre le bois et la toile du soulier devient insupportable. Alors il ne lui reste plus que l'hôpital avec le diagnostic de " dicke Füsse " (pieds enflés), car personne n'ignore, et les SS moins que quiconque, que c'est un mal dont on ne guérit pas " (pages 34 et 35 Editons Pocket).

 

            Dans ces extraits, Primo Levi montre que le Lager n'était qu'interdictions, obligations, humiliations et douleurs. Les détenus étaient obligés d'accomplir et de se soumettre à des tâches et des contrôles humiliants et insensés . Ils n'avaient aucuns droits mais énormément d'interdictions à respecter. Sans compter que pour eux, des gestes tout à fait banals tels que marcher, étaient devenus une torture intense qui pouvait les conduire à la mort.

 

 

 

 

" De même que ce que nous appelons faim ne correspond en rien à la sensation qu'on peut avoir quand on a sauté un repas, de même notre façon d'avoir froid mériterait un nom particulier. Nous disons " faim ", nous disons " fatigue ", " peur " et " douleur ", nous disons " hiver ", et en disant cela nous disons autre chose, des choses que ne peuvent exprimer les mots libres, crées par et pour des hommes libres qui vivent dans leurs maisons et connaissent la joie et la peine. Si les Lagers avaient duré plus longtemps, ils auraient donné le jour à un langage d'une âpreté nouvelle ; celui qui nous manque  pour expliquer ce que c'est de peiner tout le jour dans le vent, à une température au-dessous de zéro, avec, pour tous vêtements, une chemise, des caleçons, une veste et un pantalon de toile, et dans le corps la faiblesse et la faim, et la conscience que la fin est proche. "

 

            Je pense que ce que Primo Levi veut exprimer à travers ces mots c'est que même s'il a écrit ce livre pour nous faire partager ce qu'il a vécu, nous ne pourrons jamais comprendre ce qu'il a vraiment voulu nous dire, nous ne pourrons jamais ressentir la douleur qu'ont connus les déportés.

IL veut montrer qu'aucun mot ne peut décrire ce que des millions d'Hommes ont vécu à Auschwitz ou dans un autre camp. Car toutes les horreurs subies dans les Lagers ne peuvent se définir par des mots de notre dictionnaire, il n'y a pas de mot assez puissant pour les décrire. Seul les déportés rescapés ont en eux cette vérité incompréhensible à nos yeux.

 

           

            " Les Russes peuvent bien venir : ils ne trouveront plus que des hommes domptés, éteints, dignes désormais de la mort passive qui les attend.

            Détruire un homme c'est difficile, presque autant que le créer : cela n'a pas été ni aisé ni rapide, mais vous y êtes arrivés. Allemands, nous voici dociles devant vous, vous n'avez plus rien à craindre de nous : ni les actes de révolte, ni les paroles de défi, ni même un regard qui vous juge."

 

            Primo Levi nous pousse à nous interroger sur les notions de victoire et de défaite. Qui a gagné la guerre, les Allemands ou les Alliés ? D'ordinaire, je répondrai les Alliés, mais après avoir lu ce livre, je me rends compte que les Alliés n'ont gagné que la " guerre physique ", ils ont vaincu les nazis par la force. Mais moralement, ils n'ont rien gagné du tout, le Parti nazi est arrivé à ses fins, il a exterminé des Juifs, des Tziganes, des handicapés, des résistants,… et même si certains s'en sont sortis, ils ne sont plus des Hommes comme les autre, ce sont des Hommes brisés qui portent la marque de l'horreur nazie imprimée dans leur chair.

            Alors cette question s'impose : qui ont été les véritables vainqueurs ?

 

"C'est là que nous reçûmes les premiers coups : et la chose fut si inattendue, si insensée, que nous n'éprouvâmes nulle douleur ni dans le corps ni dans l'âme, mais seulement une profonde stupeur : comment pouvait-on frapper un homme sans colère? "

 

" Il m'en veut parce que je suis italien, parce que je suis juif, et parce que, de nous tous, je suis celui qui s'écarte le plus de son idéal caporalesque de virilité ".

 

L'incompréhension, c'est ce qu'on ressenti les déportés à leur arrivée. Ils n'ont pas compris pourquoi on les traitait de la sorte, ils n'avaient commis aucun délit, aucun crime. Mais alors pourquoi leur infliger pareil traitement ? Beaucoup d'Hommes ont été humiliés et tués pour l'unique raison qu'ils étaient juifs, tziganes ou handicapés et qu'ils ne reflétaient pas le modèle Aryen qui devait être le peuple de l'Allemagne nazie.

 

            " Nous avons voyagé jusqu'ici dans les wagons plombés, nous avons vu nos femmes et nos enfants partir pour le néant ; et nous, devenus esclaves, nous avons fait cent fois le parcours monotone de la bête au travail, morts à nous-mêmes avant de mourir à la vie, anonymement. Nous ne reviendrons pas. Personne ne sortira d'ici, qui pourrait porter au monde, avec le signe imprimé dans sa chair, la sinistre nouvelle de ce que l'homme, à Auschwitz, a pu faire d'un autre homme."

 

            " Qu'on imagine maintenant un homme privé non seulement des êtres qu'il aime, mais de sa maison, de ses habitudes, de ses vêtements, de tout enfin, littéralement de tout ce qu'il possède : ce sera un homme vide, réduit à la souffrance et au besoin, dénué de tout discernement, oublieux de toute dignité : car il n'est pas rare, quand on a tout perdu, de se perdre soi-même ; ce sera un homme dont on pourra décider de la vie ou de la mort le cœur léger, tout au plus, le critère d'utilité."

 

           

            En dépossédant les déportés de tous leurs biens et de leur famille, les nazis ont tué intérieurement ces hommes qui ne l'étaient même plus. Car comment garder le titre d'Homme quand vous n'avez plus rien, que vous avez tout perdu et que votre nom a été remplacé par un numéro ?

La vie des détenus n'avait aucun sens, il fallait travailler, se nourrir et dormir, sans penser, sans rêver. Ils étaient devenus des automates qui répétaient chaque jour les mêmes gestes en attendant une mort certaine. Ils n'avaient aucune valeur et étaient présent dans les camp juste pour travailler ou mourir.

Voilà ce que les nazis ont fait à des millions d'Hommes, ils les ont transformés en esclaves, en bêtes qui sont morts anonymement et sans aucune dignité.

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